Monday, September 1, 2008

*Un paradoxe français...*


***Voici donc venu le temps des gommes neuves et des crayons taillés. Des protège-cahiers et des résolutions de rentrée. La France au travail, après deux mois d'été. La France et ses espoirs de boulot : l'an passé, 2,9 millions de personnes étaient sans emploi, mais exprimaient le souhait de travailler, nous dit l'Insee (enquête "Emploi 2007, Insee première, août 2008"). Et sur les 25,6 millions ayant un travail, 1,4 million occupés à temps partiel souhaitaient travailler davantage et 1,6 million d'autres déclaraient vouloir en changer : le souhait de progresser vers un Graal plus intéressant ou mieux payé, la crainte, aussi, de perdre son travail. Mieux vaut rester maître de son destin, anticiper.

C'est important, le travail. Très important même pour les Français. Avant l'été, le Centre d'études de l'emploi (CEE) relevait qu'ils sont, en Europe, parmi ceux qui lui accorderaient le plus d'importance. Si les Britanniques et les Danois sont 40 % à déclarer le travail "très important", les Français sont 70 %, caracolant en tête de l'ancienne Europe des Quinze.

Et pourquoi donc ? Par souci du devoir à accomplir (un sentiment partagé par plus de la moitié des Européens) ? Pas franchement. Par crainte du chômage (la corrélation est souvent vérifiée, ouvriers, employés et chômeurs associant davantage et plus directement que les cadres bonheur et travail) ? Pas seulement. Mais parce qu'ils auraient (nous aurions), plus que les autres, "la volonté de s'épanouir au travail".

Fouillant diverses enquêtes internationales, Dominique Méda et Lucie Davoine, auteurs de l'étude, font observer que les Français affichent les attentes les plus fortes à l'égard de l'intérêt du travail, qu'ils attendent plus intensément de lui qu'il soit un lieu de "réalisation" de soi, d' "accomplissement", de développement de ses capacités. Un lieu qui donne du sens. Un moyen, aussi, de nouer des liens privilégiés au sein d'un groupe. Ces attentes, sur un mode très affectif, ne seraient pas fonction du niveau de richesse. Et les jeunes accentueraient la tendance. OK pour investir de l'énergie au boulot à condition d'avoir du plaisir, vite, ici et maintenant, et que celui-ci revête de la valeur à leurs yeux.

Le paradoxe, relèvent les analystes, réside dans le fait que, dans le même temps, si les Français sont les plus nombreux à déclarer le travail " important", ils sont également les plus nombreux à souhaiter le voir occuper... moins de place dans leur vie (la moitié des Britanniques, Belges, Suédois, sont ainsi, comme les deux tiers des Français).

Et pourquoi donc ? D'abord, suggèrent Mmes Méda et Davoine, parce que la sphère du travail, à l'usage, se révèle incapable de combler les attentes en question ; parce que celle-ci est vécue, apparemment plus qu'ailleurs, comme "une activité génératrice de mal-être et de stress" - aucune gratification (revenu, sécurité de l'emploi) ne parvenant à dissiper le malaise. C'est en France que les relations hiérarchiques sont les moins bien vécues (loin derrière l'Allemagne et l'Irlande), les Français se sentant moins l'objet de la confiance et de l'attention de leurs supérieurs quant à leurs capacités, moins autonomes dans leurs tâches, insuffisamment payés, et moins consultés qu'ailleurs en cas de réorganisation du travail.

La spécificité française s'expliquerait aussi parce qu'à l'instar des autres pays, et plus encore qu'eux, le travail, même jugé important, doit dorénavant permettre d'assurer et de concilier d'autres investissements dans d'autres lieux de "réalisation", consommateurs de temps : à commencer par la famille. Cela se retrouve dans les kiosques. "Travail, comment ne plus le subir ?" titre ce mois-ci le magazine Psychologies...

Jean-Michel Dumay
31.08.08.
LE MONDE

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