Sunday, December 27, 2009

*Que vaut le brevet d'un inventeur ?...*

***C'est la question que se pose chaque inventeur lors du dépôt d'un brevet. Même si le coût n'est pas significatif, beaucoup s'attribuent d'heureuses perspectives de rentrées financières. Si d'aventure ils étendent la protection du brevet à d'autres pays, les frais s'élevant, ils réévalueront leurs prétentions.

Pourtant, préjuger du prix d'un brevet est une entreprise hasardeuse. La valorisation d'un brevet n'existe qu'autant que lui est associé un produit ou un concept monnayable sur le marché. Rares sont ceux qui peuvent y prétendre. Sur 100 brevets déposés à l'Inpi, 0,7 % donnent lieu à des produits normés, accessibles au marché. De ce nombre, 60 % sont issus de grandes entreprises, ces derniers disposant du temps et des moyens nécessaires à leur mise en oeuvre.

La possibilité qu'un brevet « à l'état brut » présente une valeur marchande est infime, voire irréaliste. La possibilité qu'un brevet puisse se développer en dehors de structures d'accueil bien organisées, oeuvrant sur le long terme, est pratiquement nulle. Rares sont les PME qui peuvent y répondre. Encore moins des inventeurs agissant solitairement ! Si, toutefois, le brevet de l'un de ces derniers se voit reconnaître malgré tout une valeur marchande, le gain sera faible, couvrant tout juste les frais engagés. Lassés d'attendre, certains bradent leurs brevets. D'autres lâchent prise.

Cette situation est pourtant paradoxale. Majoritairement de bonne foi, rares sont les inventeurs qui s'accomplissent à la légère comme en témoignent les recherches d'antériorité ou les dossiers d'expertise joints aux dépôts. Seulement voilà, trois problèmes bousculent leur enthousiasme : l'argent, le temps et la loi.

La valorisation marchande d'un brevet ressemble à un chemin de croix. D'une étape à l'autre, les coûts sont lourds, incompressibles : consultations, planches d'essai, validations techniques, unité pilote, référencements, mise aux normes. Qui plus est, rien n'est jamais acquis. Chaque fois, l'incertitude de ne pas franchir l'étape suivante demeure. Ce qui a été validé dans un laboratoire peut être contesté dans un autre. Du coup, le coût estimé se situe toujours au-delà de 100.000 euros et jusqu'à plusieurs millions d'euros. Sauf exception, les inventeurs n'ont pas les moyens de leur ambition. Certains sollicitent l'aide publique, d'autres des concours privés. Rares sont les élus ! Livré à lui-même, l'inventeur ne devra tenir compte que de ses seuls apports personnels, en raclant ses fonds de tiroir. La plupart des inventeurs se trouvent dans une sorte d'impossibilité d'agir.

Le temps n'est pas aussi une mince affaire. Entre deux et cinq ans, voire plus et sans rentrée d'argent, l'inventeur devra consacrer toute l'énergie nécessaire à son projet. Celui-ci est accaparant : élaboration de protocoles techniques, de procédures, de schémas de production, de fiches de sécurité, etc. Dès lors qu'il s'agit d'innovations complexes, ces documents peuvent prendre l'allure de thèse de recherche. Parallèlement, il devra nouer des contacts avec les acteurs du marché : clients, distributeurs ou prescripteurs. Inévitablement, il affrontera un dédale d'organismes ou de comités censés vérifier le bien-fondé de son invention. Parfois son honneur sera mis à l'épreuve. Face à des fonctionnaires zélés, il devra faire profil bas, tolérer l'absence d'écoute, peut-être le mépris. Pendant cette période, la concurrence peut déjouer ses ambitions. En cela, le dépôt d'un brevet est un piège. Sa publication facilite la tâche d'entreprises adverses, celles dotées de moyens. Si ces dernières trouvent un angle différent au brevet d'origine, elles sauront faire respecter leur titre. Souvent liées à des avocats spécialisés, des sociétés de veille technologique américaines opèrent ainsi : prendre au vol des connaissances, s'en approprier ensuite les bénéfices.

Autre difficulté : le corset réglementaire. Toujours plus contraignant, plus retors, il se dissimule dans les entrelacs d'arrêtés illisibles. Sous prétexte du motif de précaution, l'inventeur devra prouver que son invention n'affecte pas l'environnement. Rares sont pourtant les entreprises industrielles nées avant et durant les Trente Glorieuses ayant souscrit à de telles exigences ! Du coup, le droit d'entrée est plus coûteux, surtout imprévisible. Des nuits entières, il devra démêler les fils d'une législation qui française, qui européenne traque la moindre bévue. Si, malgré tout, sa technique accède au marché, il devra encore se méfier des mises en jeu de responsabilité, sujettes également à un constant raidissement législatif. A la moindre erreur, le couperet ! L'annonce alors de l'échec de la valorisation du brevet !

A défaut d'une immense énergie, d'un goût au sacrifice et du risque et de moyens financiers, la valorisation d'un brevet défendu par un inventeur s'apparente à un voeu pieux. Dans tous les cas, ce dernier est un homme seul, seul juge de la poursuite d'une entreprise incertaine.

FRANÇOIS DE LA CHEVALERIE, ENTREPRENEUR,
YUE ZHANG, SPÉCIALISTE EN PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE.
LES ECHOS
23/12/09

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