Wednesday, June 9, 2010

*Grand Paris : un bilan d’étape...*

***Philippe Subra, professeur à l'Institut français de géopolitique (Paris-IIX)

Le compromis trouvé par les députés et les sénateurs, le 22 mai, sur le projet de loi sur le Grand Paris reflète assez bien l'équilibre des forces entre les élus franciliens et le secrétaire d'Etat au développement de la région capitale, Christian Blanc. Celui-ci voulait pouvoir aménager librement (c'est-à-dire, au besoin, sans l'accord des maires) un vaste périmètre autour de chacune des quarante stations du nouveau réseau de transports : il devra finalement se contenter d'un rayon de 400 mètres au lieu des 1500 espérés. La Région pourra, quant à elle, soumettre à un débat public son projet Arc express, concurrent du projet de métro de Christian Blanc, malgré l'amendement sénatorial, probablement commandé par celui-ci, qui visait à l'en empêcher. C'est un résultat inespéré pour les élus de gauche. Et qu'ils doivent avant tout à la rébellion d'une partie de leurs collègues de base de la droite francilienne, alors que les ténors de l'UMP, Valérie Pécresse, Roger Karoutchi, Patrick Devedjian, sont restés singulièrement silencieux depuis leur défaite aux régionales de mars. Mais le projet de nouveau métro, baptisé par les média "Double Boucle" ou "Grand Huit", reste bien sûr d'actualité.

L'outil à sa main dont l'Etat s'est doté, la Société du Grand Paris, sera créé et les élus n'y joueront toujours qu'un rôle marginal. Rien ne garantit enfin que le schéma directeur régional, adopté par la Région en septembre 2008 et dont le préfet d'Ile-de-France bloque la transmission pour avis au Conseil d'Etat, entrera un jour en vigueur. Le serait-il qu'il n'aurait de toute façon guère de sens dans le contexte actuel : que peut en effet valoir un document de planification qui ignore des faits aussi lourds de conséquences qu'un nouveau métro de 130 kilomètres de long et le développement de neuf territoires de projets, accueillant une grande partie de la future croissance de la région ?

L'adoption par le parlement du projet de loi sur le Grand Paris signifie simplement que la partie entamée il y a trois ans entre dans une nouvelle phase : la guerre de mouvement menée avec un certain brio par le président de la République et son ministre – lancement de l'opération à Roissy en juin 2007, annonce de la consultation des architectes en septembre, nomination du Christian Blanc en mars 2008, présentation du projet et des travaux des architectes en mars 2009, adoption du projet de loi en mai 2010 – laisse la place à une guerre de positions dont l'issue est très incertaine.

Trois facteurs pourraient s'avérer décisifs. D'abord la façon dont se dérouleront les deux débats publics que devrait organiser la CNDP à partir de l'automne 2010 sur le projet Arc Express et sur celui du Grand Huit. C'est la première fois depuis 1995, c'est-à-dire depuis qu'existe cette procédure de consultation sur les grands projets d'infrastructures, que deux débats sur deux projets à la fois partiellement concurrents et partiellement "fusionnables" seront menés en parallèle. Autrement dit : personne ne sait comment faire. L'expérience de la quarantaine de débats menés depuis quinze ans montre que la réussite d'un tel exercice dépend d'une alchimie subtile, et assez rarement obtenue, où se mêlent transparence de l'information, devoir d'argumentation, respect de l'adversaire, égalité de traitement entre tous les acteurs, qu'ils soient économiques, administratifs, politiques ou associatifs.

RIEN N'EST JOUÉ

Au vu de la façon dont l'affaire du Grand Paris a été menée jusqu'ici, de part et d'autre, le moins que l'on puisse dire est que la réunion de ces conditions n'est pas acquise. Les deux débats publics peuvent être l'occasion d'une clarification bien nécessaire du contenu des deux projets et de leurs modalités ; ils peuvent permettre aux citoyens et aux associations, jusque-là bien absents du débat sur le Grand Paris, de faire entendre, enfin, leur voix et leurs arguments. Mais ils peuvent aussi être instrumentalisés par les rivalités politiques, comme le dossier du Grand Paris n'a cessé de l'être depuis trois ans, chacun campant sur sa posture "pro-Blanc" ou "anti-Blanc". Ou pris en otage par la mobilisation des riverains dans une logique Nimby ("Not in my backyard"). Un débat public n'est jamais une simple trêve dans l'affrontement des camps, où les uns et les autres confronteraient leurs arguments. Il s'y joue toujours du pouvoir et les rapports de forces entre acteurs en sortent rarement inchangés. Rappelons enfin que la teneur d'un débat public n'engage en rien le maître d'ouvrage. Celui reste libre de sa décision ; décision que le débat a seulement pour fonction d'éclairer, en permettant à tous les arguments d'être mis sur la table. Chacun des deux maîtres d'ouvrage, la Région pour Arc express, la Société du Grand Paris pour le Grand Huit, pourra donc rester sur ses positions à l'issue du débat public, sans que la compatibilité des deux projets ait avancé d'un pouce.

La crise économique constitue une deuxième inconnue. Pour peu qu'elle se poursuive ou s'aggrave, ce qui est tout sauf improbable, c'est tout l'équilibre financier du projet de Christian Blanc qui risque de s'effondrer. Le financement du nouveau réseau repose en effet pour une part sur des recettes fiscales générées par les opérations immobilières autour des stations du futur métro. Dans une économie en panne de croissance, ces opérations ont toutes les chances d'être assez limitées. Le recours massif à l'emprunt risque d'être difficile à justifier si l'Etat s'engage dans une politique de réduction de la dette publique. Enfin, alourdir la contribution des entreprises d'Ile-de-France au financement des infrastructures ne va pas de soi dans un contexte de crise. La Société du Grand Paris pourrait donc être amenée à solliciter la participation financière des collectivités territoriales. Celles-ci, du coup, y gagneraient la possibilité de revenir dans le jeu et un moyen de pression particulièrement efficace pour influer sur le contenu du projet et – pourquoi pas ? – le fusionner avec le projet Arc express, en réduisant la double boucle à une simple bouclette.

Reste enfin l'échéance de 2012. Le Grand Paris est d'abord un projet de Nicolas Sarkozy et celui-ci n'a cessé de le présenter comme l'un des "grands chantiers" de son premier mandat. L'appui qu'il a prodigué à Christian Blanc a été jusqu'ici capital pour permettre au secrétaire d'Etat d'imposer, à marche forcée, un projet ambitieux et contesté, malgré l'opposition de très nombreux élus locaux. Le résultat de la prochaine élection présidentielle influera donc de manière décisive sur l'avenir du projet de Grand Paris. Dans l'hypothèse d'une réélection de Nicolas Sarkozy, celui-ci pourrait être poursuivi, en l'adaptant sans doute aux conditions économiques du moment. Si à l'inverse c'est son adversaire socialiste qui l'emporte, les collectivités territoriales, majoritairement de gauche en Ile-de-France, reprendraient en partie la main. Ce qui ne signifie pas, d'ailleurs, que le projet élaboré par Christian Blanc serait automatiquement et entièrement remis en cause – trop d'élus ont intérêt à ce que telle ou telle partie du schéma retenu soit réalisée – mais en tout cas permettrait qu'il soit fortement amendé et que son mode de gestion, la "gouvernance" du projet, soit partiellement revu. Rien n'est donc joué.

Philippe Subra a publié Le Grand Paris (Armand Colin, 2009).

Philippe Subra, professeur à l'Institut français de géopolitique (Paris-IIX)

LE MONDE
09.06.10

Bien à vous,

Morgane BRAVO

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